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Programmation Par Contrat

Partie 1/3 : Un peu de théorie

Cela faisait un moment que je voulais partager mes conclusions sur la Programmation par Contrat, et en particulier comment l'appliquer au C++.

Voici un premier billet qui aborde l'aspect théorique. Dans un second billet, je traiterai des assertions. En guise de conclusion, je présenterai des techniques d'application de la PpC au C++ que j'ai croisées au fil des ans.

Vous pouvez donner votre avis sur cet article et la PpC sur le forum d'entraide C++ : 11 commentaires Donner une note à l´article (5).

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I. Les erreurs

En développement, il y a toujours des problèmes qui vont venir nous ennuyer. Certains correspondront à des problèmes plausibles induits par le contexte (fichiers invalides, connexions réseau coupées, utilisateurs qui saisissent n'importe quoi…), d'autres seront des erreurs de programmation.

Dans la suite de ce billet, je vais principalement traiter du cas des erreurs de programmation. Toutefois, la confusion étant facile, des parenthèses régulières seront faites sur les situations exceptionnelles, mais plausibles.

I-A. Les types d'erreurs de programmation

Quand on parle d'erreur de programmation, les premières qui vont nous venir à l'esprit sont les erreurs de syntaxe (points-virgules oubliés), ou de grammaire (types non respectés). Ces erreurs-ci, les langages compilés vont nous les signaler. On peut considérer qu'il est impossible de livrer un exécutable sur une plateforme qui n'a pas passé cette phase de vérification.

Il existe de nombreuses autres erreurs de programmation qu'aucun compilateur ne signalera jamais. On peut se tromper dans la conception ou la retranscription d'un algorithme, et ainsi renvoyer des résultats numériques aberrants. On peut aussi faire des suppositions totalement erronées, comme traiter les lignes d'un fichier qui n'existe pas, ou exploiter un élément après sa recherche infructueuse dans une liste… Les plus classiques sont les accès hors bornes, et tous les autres problèmes de déréférencement de pointeur nul et de dangling pointer.

Bien sûr, un fichier qui n'existe pas est une erreur de contexte. Mais réaliser un traitement sur un fichier sans vérifier préalablement qu'il existe est une erreur de programmation. La différence est subtile. J'y reviendrai plus loinLa Programmation Défensive, une philosophie antagoniste ou complémentaire ?.

I-B. Que faire de ces erreurs de programmation ?

Les erreurs qui bloquent la compilation, on n'a pas trop d'autre choix que de les corriger. Les autres erreurs… souvent, pas grand-chose n'en est fait. Elles sont là, elles traînent jusqu'à ce qu'elles soient trouvées, puis corrigées. Les pires d'entre elles ne sont jamais détectées. C'est souvent le cas des erreurs numériques, ou des fichiers que l'on croit avoir ouverts.

Dans les meilleurs de mes mondes, on fait en sorte de ne pas pouvoir compiler quand on est face à une erreur de programmation. Les assertions statiques nous aideront en cela.
On peut aussi appliquer des petites recettes dont le principe chapeau consiste à confier nos invariants au compilateur. Par exemple, on évite de disposer de variables dans des états non pertinents (cf. la FAQ C++ de Developpez.com), on utilise des références à la place de pointeurs quand on sait que l'on est censés disposer de liens non nuls, on annote comme transférables les types dont les responsables changent (cf. un prochain billet), on fait en sorte de ne pas pouvoir additionner des distances avec des masses (cf. boost.unit)…

Pour les autres cas, [Meyer1988Références] a jeté les bases d'un outil, la programmation par contrat. Le C nous offre un second outil, les assertions. Les assertions permettent d'installer des points de contrôle dans un programme pour vérifier que les traitements se passent bien. Ces points de contrôles seront utilisés pour vérifier les contrats préalablement définis. Nous les détaillerons dans le prochain billet.

II. La programmation par contrat

Les contrats, dans la programmation, servent à poser les bases de qui est censé faire quoi. Par exemple, la fonction sqrt(x) ne prend que des paramètres numériques positifs x, et elle renvoie des nombres toujours positifs qui vérifient result = x². On retrouve la notion de domaine de définition des fonctions en mathématiques.

Dit autrement, si on respecte le contrat d'appel d'une fonction (on parle de ses préconditions), cette fonction est censée nous garantir respecter son contrat de sortie (on parle de postconditions). Si les préconditions ne sont pas respectées, les postconditions (à commencer par le bon déroulement de la fonction) pourront ne pas être respectées : la fonction est libre de faire comme elle l'entend.

On peut se demander à quoi ça sert. En effet, si on passe un nombre négatif à sqrt et qu'elle plante, on n'est pas plus avancé. Le bug(1) est toujours là. Et pourtant, nous avons fait un énorme pas en avant : nous avons formalisé les contrats de sqrt. Nous disposons de spécifications précises, et d'une documentation qui pourra accompagner le code.

Heureusement, nous pouvons aller bien plus loin. Nous pouvons aussi marquer le code avec des assertions représentatives des contrats identifiés pour repérer les ruptures de contrats en phases de test et développement.

Idéalement, nous aurions dû pouvoir aller beaucoup plus loin. En effet, les outils d'analyse statique de code devraient pouvoir exploiter les contrats exprimés avec des assertions pour vérifier qu'ils n'étaient jamais violés lors de leur exploration des chemins d'exécution possibles.
Seulement, les quelques outils que j'ai pu regarder utilisent au contraire les assertions pour retirer des branches à explorer.

II-A. Les trois contrats de la PpC

La PpC définit trois contrats.

II-A-1. Les préconditions

Elles sont le pendant des domaines de définition des fonctions mathématiques. Si l'état du système vérifie les préconditions d'une fonction à l'instant de son appel, alors la fonction est censée se dérouler correctement et de façon prévisible (je simplifie).

Typiquement, l'état du système correspondra aux paramètres de la fonction, qu'ils soient explicites, ou implicites (this), mais aussi à toutes les globales accessibles.

II-A-2. Les postconditions

Les postconditions sont les garanties que l'on a sur le résultat d'une fonction si les préconditions sont remplies et que la fonction s'est exécutée correctement.

Important : si une fonction voit qu'elle ne pourra pas remplir ses postconditions, alors elle doit échouer - de préférence en lançant une exception de runtime en ce qui me concerne.

Notez cet emploi du futur. Il ne s'agit pas de vérifier si les calculs ou l'algorithme sont corrects en sortie de fonction, mais de vérifier si le contexte permet bien à la fonction de se dérouler correctement.

Le cas « j'ai fait tous mes calculs, ils sont faux, et je ne sais pas pourquoi » ne justifie pas une exception. Il s'agit d'une erreur de programmation ou de logique.
Prenons Vil Coyote. Il a un plan splendide pour attraper Bip Bip - c'est d'ailleurs la postcondition de son plan. Il détourne une route pour la faire arriver au pied d'une falaise, et il peint un tunnel sur le rocher. C'est un algorithme simple et efficace, Bip Bip devrait s'écraser sur la roche, et Vil aura son repas. Sauf que. Il y a un bug avec la peinture qu'il a intégrée (ou avec Bip Bip) : le volatile emprunte le tunnel. Vous connaissez tous la suite, Vil se lance à sa poursuite et boum. La postcondition n'est pas respectée, car il y a un bug totalement inattendu dans les pièces que Vil a intégrées. Il n'y avait ici pas de raison de lancer une exception. La seule exception plausible c'est si Bip Bip venait à ne pas vouloir emprunter cette route.

Bref, nous le verrons plus loin, et dans le prochain billet, ce cas de bug non anticipé est mieux traité avec des assertions.

II-A-3. Les invariants

Il y a plusieurs natures d'invariants. On va parler d'invariants pour des zones de codes durant lesquelles une propriété sera vraie :

  • un invariant de boucle correspondra à ce qui est toujours vrai à l'intérieur de la boucle (p.ex. que i < N dans le cas d'une boucle for). ; [NdA.: À vrai dire, c'est une appellation que l'on peut voir comme abusive. En effet, ces invariants peuvent être rompus avant de sortir de la boucle. Certains préfèrent utiliser le terme de variant de boucle pour désigner une propriété qui va permettre de sortir de la boucle.]
  • une variable devrait toujours avoir pour invariant : est utilisable, et est dans un état cohérent et pertinent ; cet invariant est positionné à la sortie de son constructeur (cf. la FAQ C++ développez) ;
  • un invariant de classe est une propriété toujours observable depuis du code extérieur aux instances de la classe - p.ex. une séquence triée garantira que tous les éléments de la séquence sont toujours ordonnés lorsque le code utilisant la séquence cherche à y accéder, cependant ponctuellement, le temps de l'insertion d'un nouvel élément l'invariant de la classe n'a pas à être vérifié depuis les fonctions internes de la séquence ;
  • une référence est généralement acceptée en C++ comme un pointeur avec pour invariant une garantie de non-nullité.

II-B. Acteurs et responsabilités

Ces contrats sont définis entre les acteurs qui interviennent dans l'écriture d'un code. On peut dans l'absolu distinguer autant d'acteurs que de fonctions.
Prenons le bout de code suivant :

 
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double metier() {                  // écrit par l'intégrateur
   const double i = interrogeES(); // écrit par le responsable UI
   return sqrt(i);                 // écrit par le mathématicien
}

Nous pouvons distinguer trois acteurs :

  • le responsable UI, qui écrit interrogeES
  • le mathématicien, qui écrit sqrt
  • et l'intégrateur, qui intègre tout cela ensemble lorsqu'il écrit metier.

sqrt a un contrat simple : le nombre reçu doit être positif. Si l'appel à sqrt échoue (plantage, résultat renvoyé aberrant…) tandis que le nombre passé en paramètre est bien positif, alors le mathématicien est responsable du problème, et ce, peu importe ce qui est fait par les autres acteurs. En effet, bien que les préconditions de sqrt soient bien vérifiées, ses postconditions ne le sont pas : sqrt ne remplit pas sa part du contrat.

Si i n'est pas positif, alors le mathématicien ne peut pas être tenu pour responsable de quoi que ce soit. La faute incombe au code client de sqrt.

À ce stade, tout va dépendre si interrogeES dispose d'une postcondition sur ses sorties du type renvoie un nombre positif. Si c'est le cas, la rupture de contrat est alors à ce niveau, et le responsable UI est responsable de l'erreur de programmation. En effet, l'intégrateur est dans son droit d'enchaîner sqrt(interrogeES()). C'est exactement la même chose que sqrt(abs(whatever)), personne n'irait accuser l'intégrateur de ne pas faire son boulot vu que les préconditions de sqrt sont censées être assurées par les postconditions de interrogeES.

En revanche, si interrogeES n'a aucune postcondition telle que le nombre renvoyé sera positif, alors l'intégrateur est responsable au moment de l'intégration de s'assurer que ce qu'il va passer à sqrt soit bien positif. Une correction typique serait :

 
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double metier() {                  // écrit par l'intégrateur
   const double i = interrogeES(); // écrit par le responsable UI
   if (i <0)
       throw std::runtime_error("invalid input obtained ...");
   return sqrt(i);                 // écrit par le mathématicien
}

Remarquez, que l'intégrateur est alors face à une erreur de contexte (/runtime) et nullement face à une erreur de programmation. Il est alors en droit de lancer une exception (souvenez-vous, si une postcondition ne peut pas être respectée, alors la fonction doit échouer), ou de boucler jusqu'à obtenir quelque chose qui lui permette de continuer. Sans cela nous aurions été face à une erreur de programmation commise par l'intégrateur.

En résumé :

  • la responsabilité de vérifier les préconditions d'une fonction échoit au code client, voire indirectement au code qui alimente les entrées de cette fonction appelée ;
  • la responsabilité de vérifier les postconditions d'une fonction échoit à cette fonction appelée.

N.B. Jusqu'à présent je considérais seulement deux acteurs relativement aux responsabilités. C'est Philippe Dunski qui m'a fait entrevoir le troisième intervenant lors de ma relecture de son livre [Dunksi2014Références].

II-C. Petite parenthèse sur les contrats commerciaux… et les licences

La programmation par contrat n'a pas vocation à avoir des répercussions légales selon qui ne remplit pas son contrat. Cependant, il y a clairement une intersection entre la PpC et les responsabilités légales.

Dans le cas où le responsable UI et le mathématicien sont deux contractants de l'intégrateur. Ce que j'ai détaillé au paragraphe précédent est normalement directement applicable. L'intégrateur sera responsable vis-à-vis de son client du bon fonctionnement de l'ensemble, mais le responsable UI et le mathématicien ont des responsabilités vis-à-vis de l'intégrateur.

Si maintenant, le responsable UI ou le mathématicien ne livrent plus des COTS (au sens commercial), mais des bibliothèques tierces open source ou libres, à moins que l'intégrateur ait pris un contrat de maintenance auprès du responsable UI et du mathématicien, il est peu probable que le responsable UI ou le mathématicien aient la moindre responsabilité légale vis-à-vis de l'intégrateur.

L'intégrateur est seul responsable vis-à-vis de son client. À lui de trouver des contournements, ou mieux de corriger ces composants tiers qu'il a choisi d'utiliser, et de reverser les patchs à la communauté.

Mais je m'égare, ceci est une autre histoire. Revenons à nos moutons.

III. La Programmation Défensive, une philosophie antagoniste ou complémentaire ?

Il est difficile de traiter de la PpC sans évoquer la programmation défensive. Souvent ces deux approches sont confondues tant la frontière entre les deux est subtile.

Tout d'abord une petite remarque importante, la programmation défensive a d'autres objectifs orthogonaux à ce qui est discuté dans ces billets : elle est aussi utilisée pour introduire une tolérance aux erreurs matérielles, limiter les conséquences de ces erreurs (comme les corruptions de mémoire). C'est un aspect que je n'aborde pas dans le cadre de la comparaison avec la PpC.

III-A. Présentons la programmation défensive

La programmation défensive a pour objectif qu'un programme ne doit jamais s'arrêter afin de toujours pouvoir continuer. On s'intéresse à la robustesse d'un programme.

Bien que la PpC puisse être détournée pour faire de la programmation défensive, ce n'est pas son objectif premier. La PpC ne fait que stipuler que si un contrat est respecté, alors tout se passera bien. Si le contrat n'est pas respecté, tout peut arriver : on peut assister à des plantages plus ou moins prévisibles, on peut produire des résultats erronés, on peut stopper volontairement au point de détection des erreurs, et on peut aussi remonter des exceptions. Avec la PpC, on s'intéresse à l'écriture de code correct.

Le choix de remonter des exceptions, depuis le lieu de la détection de la rupture de contrat, est un choix de programmation défensive. C'est un choix que j'assimile à une déresponsabilisation des véritables responsables.

Supposons une application qui lit un fichier de distances, et qui pour le besoin de son métier calcule des racines carrées sur ces distances. L'approche de la programmation défensive consisterait à vérifier dans la fonction my::sqrt que le paramètre reçu est positif, et à lancer une exception dans le cas contraire.

Ce qui donnerait :

 
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double my::sqrt(double n) {
    if (n<0) throw std::domain_error("Negative number sent to sqrt");
    return std::sqrt(n);
}

void my::process(boost::filesystem::path const& file) {
    boost::ifstream f(file);
    if (!f) throw std::runtime_error("Cannot open "+file.string());
    double d;
    while (f >> d) {
        my::memorize(my::sqrt(d));
    }
}

Si un nombre négatif devait être présent dans le fichier, nous aurions droit à l'exception « Negative number sent to sqrt ». Limpide, n'est-ce pas ? On ne sait pas quel est le nombre ni d'où il vient. Après une longue investigation pour traquer l'origine de ce nombre négatif, on comprend enfin qu'il faut instrumenter process pour intercepter l'exception. Soit on fait le catch au niveau de la fonction, et on sait dans quel fichier a lieu l'erreur, soit on encadre l'appel à my::sqrt pour remonter plus d'informations.

 
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void my::process(boost::filesystem::path const& file) {
    boost::ifstream f(file);
    if (!f) throw std::runtime_error("Cannot open "+file.string());
    double d;
    while (f >> d) {
        double sq = 0;
        try {
            sq = my::sqrt(d);
        }
        catch (std::logic_error const&) {
            throw std::runtime_error(
                "Invalid negative distance " + std::to_string(d)
                +" at the "+std::to_string(l)
                +"th line in distances file "+file.string());
        }
      my::memorize(sq);
    }
}

Et là… on fait ce que le code client aurait dû faire dès le début : assurer que le contrat des fonctions appelées est bien respecté.
En effet, si on avait embrassé la PpC dans l'écriture de ces deux fonctions, ce bout de code aurait ressemblé à :

 
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double my::sqrt(double n) {
    assert(n>=0 && "sqrt can't process negative numbers");
    return std::sqrt(n);
}

void my::process(boost::filesystem::path const& file) {
    boost::ifstream f(file);
    if (!f) throw std::runtime_error("Cannot open "+file.string());
    double d;
    for (std::size_t l = 1 ; f >> d ; ++l) {
        if (d <= 0)
            throw std::runtime_error(
                "Invalid negative distance " + std::to_string(d)
                +" at the "+std::to_string(l)
                +"th line in distances file "+file.string());
        my::memorize(my::sqrt(d));
    }
}

Cela n'est-il pas plus simple et propre pour disposer d'un message non seulement plus explicite, mais surtout bien plus utile ? Comparez ce nouveau message « Invalid negative distance -28.15 at the 42th line of distances file distances.txt », au précédent « Negative number sent to sqrt ».
Notez que l'on pourrait aussi critiquer l'impact en termes de performances de la solution précédente (avec le catch). Un catch n'est pas si gratuit que cela - a contrario du Stack Unwinding.

III-B. Des objections ?

Il est des objections classiques à l'utilisation de la PpC en terrain où la programmation défensive occupe déjà la place. Décortiquons-les.

III-B-1. « On utilise l'une ou l'autre »

Oui et non. Si la PpC s'intéresse à l'écriture de code correct, la programmation défensive s'intéresse à l'écriture de code robuste. L'objectif premier n'est pas le même (dans un cas on essaie de repérer et éliminer les erreurs de programmation, dans l'autre on essaie de ne pas planter en cas d'erreur de programmation), de fait les deux techniques peuvent se compléter.
D'abord on élimine les bugs, ensuite on essaie de résister aux bugs récalcitrants.

À vrai dire, on peut utiliser simultanément ces deux approches sur de mêmes contrats. En effet, il est possible de modifier la définition d'une assertion en mode Release pour lui faire lancer une exception de logique. En mode Debug elle nous aidera à contrôler les enchaînements d'opérations.

Ce qui indubitable, c'est qu'en cas de certitude qu'il n'y a pas d'erreur de programmation sur des enchaînements de fonctions, alors il n'y a pas besoin de test dynamique sur les entrées des fonctions.

Reste que toute la difficulté réside dans comment être certains qu'une séquence d'opérations est exempte de bugs.

III-B-2. « La PpC éparpille les vérifications alors que la Programmation Défensive les factorise »

Il est vrai que la programmation défensive permet d'une certaine façon de centraliser et factoriser les vérifications. Mais les vérifications ainsi centralisées ne disposent pas du contexte qui permet de remonter des erreurs correctes. Il est nécessaire d'enrichir les exceptions pauvres en les transformant au niveau du code client, et là on perd les factorisations.
D'où la question légitime que l'on est en droit de se poser : « Mais pourquoi ne pas faire ce que le code client était censé faire dès le début ? Pourquoi ne pas vérifier les préconditions des fonctions que l'on va appeler, avant de les appeler ? »

Ensuite, il est toujours possible de factoriser grâce aux assertions. Si en mode Release les assertions lèvent des exceptions, alors factorisation il y a.

Ce qui me gêne avec cette factorisation, c'est que l'on mélange les problèmes de runtime avec les erreurs de programmation ou de logique. J'aime bien le Single Responsability Principle (SRP), mais là, j'ai la franche impression que l'on mélange les responsabilités des vérifications.
De fait, on commence à avoir des systèmes aux responsabilités de plus en plus confuses.

De plus, cette factorisation implique de toujours vérifier dynamiquement ce qui est garanti statiquement. D'autant qu'idéalement s'il n'y a pas d'erreur de programmation, alors il n'y a pas de test à faire dans les cas où le runtime n'a pas à être vérifié.

Quel sens y a-t-il à écrire ceci ?

 
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for (std::size_t i=0, N=vect.size(); i!=N ; ++i)
    f(vect.at(i));

// ou de vérifier la positivité des paramètres de sqrt() dans
sqrt(1-sin(x))

III-B-3. « Le mode Debug ne doit pas se comporter différemment du mode Release ! »

Remontons à l'origine de cette exigence pour mieux appréhender son impact sur la PpC telle que je vous la propose (avec des assertions).

Parfois, le mode Debug est plus permissif que le mode Release : il cache des erreurs de programmation. Souvent c'est dû à des outils (comme VC++) dont le mode Debug zéro-initialise des variables même quand le code néglige de les initialiser.

Avec des assertions, c'est tout le contraire. En effet, le mode Debug ne sera pas plus permissif, mais au contraire, il sera plus restrictif et intransigeant que le mode Release. Ainsi, si un test passe en mode Debug, il passera également en mode Release (relativement aux assertions) : si le test est OK, c'est que les assertions traversées ne détectent aucune rupture de contrat en Debug, il n'y aurait aucune raison qu'il en aille autrement en Release. A contrario, un test qui finit en coredump en Debug aurait pu tomber en marche en Release, comme planter de façon plus ou moins compréhensible (plutôt moins en général).
Ce qui est sûr, c'est qu'en phases de développement et de tests, les développeurs auraient vu l'erreur de programmation et ils auraient dû la corriger pour voir le test passer.

III-B-4. « La programmation défensive est plus adaptée aux développeurs inexpérimentés »

C'est possible. On ne réfléchit pas avant. On code et on voit ensuite ce qu'il se passe. Traditionnellement, les débutants tendent à être formés de la sorte.

Seulement, on complexifie grandement la base de code avec cette approche. Les erreurs (de programmations et logiques) sont mélangées aux cas dégradés du runtime. Nous avons une vision plus floue, des fonctions plus complexes qui propagent et rattrapent des exceptions qui ne sont pas censées se produire.
Bref, nous avons une logique d'ensemble plus difficile à maîtriser.

Les cas dégradés induits par nos métiers complexifient déjà grandement les applications. Rajouter, au milieu de cela, du code pour gérer les erreurs de programmation complexifie encore plus les systèmes. D'ailleurs, ne rajoutent-ils pas de nouveaux risques de bugs ?

De fait, je me pose sincèrement la question : en voulant rendre plus accessibles nos systèmes à des développeurs inexpérimentés, ne faisons-nous pas le contraire ?

À noter aussi que le diagnostic des erreurs de runtime ou de logique est plus pauvre avec la factorisation de la programmation défensive. Et de fait, on complexifie les tâches d'investigation des problèmes vu que l'on déresponsabilise les véritables responsables.

III-C. En résumé

Sinon, voici mes conclusions personnelles sur le sujet :

  • la PpC s'intéresse à l'écriture de codes corrects. La programmation défensive s'intéresse à l'écriture de codes qui restent robustes dans le cas où ils ne seraient pas corrects ;
  • philosophiquement, je préfère 100 fois la PpC à la programmation défensive : il faut assumer nos responsabilités et ne pas décharger nos utilisateurs de leurs devoirs ;
  • toutefois, il est possible de détourner la PpC basée sur des assertions en C et C++ pour faire de la programmation défensive ; p.ex. l'assertion pourrait être détournée en Release pour lancer une exception. J'y reviendrai dans le prochain billet.

III-D. Comment reconnaître des contrats ?

Il est important de le rappeler, les contrats tels que présentés ici sont orientés vers la recherche des erreurs de programmation. C'est-à-dire, un code qui ne respecte pas les contrats de ses divers constituants présente une erreur de programmation.

En aucun cas une violation de contrat ne correspondra à une situation exceptionnelle (et plausible), cf. [Wilson2006Références].

Il est également à noter qu'une vérification de contrat devrait pouvoir être retirée d'un code source sans que son comportement ne soit impacté. En effet, un programme dépourvu d'erreur de logique n'aura aucun contrat qui se fasse violer, et la vérification devient superflue.

IV. Parenthèse OO : PpC et Principe de Substitution de Liskov (LSP)

Je ne rentrerai pas dans les détails du LSP. Je vous renvoie plutôt à la FAQ C++ de développez, ou à [Dunksi2014Références]. Il faut retenir que le LSP est un outil qui permet d'éviter de définir des hiérarchies de classes qui se retourneront contre nous.

Le LSP est formulé relativement aux contrats des classes pour établir quand une classe peut dériver (publiquement en C++) en toute quiétude d'une autre. Le principe est que :

  • les préconditions ne peuvent être qu'affaiblies, ou laissées telles quelles ;
  • les postconditions ne peuvent être que renforcées, ou laissées telles quelles ;
  • et une classe fille ne peut qu'ajouter des invariants.

Dit comme cela, cela peut paraître abscons, et pourtant c'est très logique.

IV-A. Quelques exemples

Prenons par exemple, une compagnie aérienne. Elle a des prérequis sur les bagages acceptés sans surcoûts. Pour toutes les compagnies, un bagage de 50x40x20cm sera toujours accepté. En particulier, chez les compagnies low-costs. En revanche, les grandes compagnies historiques (et non low-costs) affaiblissent cette précondition : on peut s'enregistrer avec un bagage bien plus gros sans avoir à payer de supplément (certes il partira en soute).
Il en va de même pour les postconditions : nous n'avons aucune garantie d'estomac rempli sans surcoûts une fois à bord de l'avion. Sauf chez les compagnies traditionnelles qui assurent en sortie un estomac non vide.
On peut donc dire a priori qu'une compagnie low-cost est une compagnie aérienne, de même qu'une compagnie traditionnelle est une compagnie aérienne.

Côté invariants, un rectangle immuable a tous ses côtés perpendiculaires, un carré immuable a en plus tous ses côtés de longueur égale.

Parmi les conséquences du LSP, on pourra déduire qu'une liste triée n'est pas substituable à une liste, ou qu'un carré non immuable n'est pas un rectangle non immuable. Je vous renvoie à la littérature et/ou la FAQ pour plus d'informations sur le sujet.

V. Remerciements

Un grand merci à tous mes relecteurs, correcteurs et détracteurs. J'ai nommé: Julien Blanc, Guilhem Bonnefille, David Côme, Sébastien Dinot, Iradrille, Philippe Lacour, Cédric Poncet-Montange.

VI. Références

[NdA Je réorganiserai les liens au fur et à mesure des sorties des articles]

VII. Remerciements Developpez.com

Nous remercions Luc Hermitte qui a accepté de publier ses tutoriels sur Developpez.com. Le billet original a été publié sur son blog Github.

Merci également à l'équipe de Developpez.com pour avoir pris le temps de corriger orthographiquement et typographiquement ce tutoriel.

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Le journal officiel a opté pour un détournement de mot sans rapport préexistant avec des insectes ou des ordinateurs (qui est lui une réussite étymologique). Pire les châtaignes s'éboguent (sans « d »). Dans des documents contractuels j'emploie « anomalie ». Ici, j'emploie ce que j'emploie tous les jours et que la majorité d'entre nous emploie.

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Le contenu de cet article est rédigé par Luc Hermitte et est mis à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 non transposé.
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